’Cause you had a bad day / Alfred

Demain serait la grande première pour la Compagnie du Loup Blanc, ma petite troupe de comédiens et de chanteurs. Nous n’étions pas très nombreux, quatre au total, mais cela suffisait déjà à produire de belles œuvres sur scène - œuvres dont je n’étais pas peu fier. Je les trouvais à la fois plaisantes, modernes, poétiques et amusantes. Ce que nous allions jouer était une composition originale et j’étais impatient d’enfin la dévoiler au public qui venait nous voir de manière régulière - et aux autres curieux. Storybrooke demeurait une ville modeste avec, pourtant, une animation grandissante. Je profitais de cet essor culturel pour promouvoir nos pièces et ramener de nouveaux spectateurs. Pour ce faire, quel meilleur endroit que chez Granny ? Un établissement dont j’étais client fidèle et qui ne manquait jamais de mettre en valeur les affiches de nos spectacles lorsque je demandais très gentiment. En vérité, j’étais très attaché à cet endroit familial où les ragots allaient parfois bon train, et connaissais assez bien la propriétaire ainsi que le personnel.    

Je m’installais à une table et pianotais sur mon téléphone après avoir passé commande. J’avais, dans mon sac, des affiches et des flyers que je laisserai sur le comptoir, après avoir pris un latte pumpkin au chamallow. Je devais, par la suite, rejoindre un ami qui voulait absolument essayer un bar récemment ouvert, puis rentrerai chez moi pour me reposer avant le jour J. La grande première ! L’impatience faisait naître, au creux de mon ventre, de petits papillons d’euphorie et de joie.
A l’approche d’Alice, l’une des serveuses, je rangeai mon téléphone mais n’eus pas le temps de prévoir sa chute. Tout se passa si vite que ma réaction fut trop lente. La se renversa sur ma chemise et le verre se brisa au sol, là où était étalée la demoiselle. Je me levais promptement et accourus auprès d’elle alors qu’elle se relevait déjà.

« Ce n’est rien, voyons! Tu n’as rien de cassé ? » j’attrapai délicatement sa main pour la retenir avant qu’elle ne s’échappe. « Le verre s’est brisé près de toi, tu ne t’es pas coupée, au moins  ? » Constatant qu’elle n’avait rien de grave, je la relâchai avec douceur et lui adressai un sourire à la fois amusé et réprobateur. « Fais attention à toi, tu vas finir par te faire mal pour de bon ! Ah, cela dit je n’aimais pas particulièrement ma chemise, alors, c’est un mal pour un bien ! » Je lui fis un clin d'œil. « Mais c’est vrai, tu as l’air fatigué. Dis-moi, tu manges bien ? Les vertiges sont parfois dus à un manque de fer ou de vitamine. Si je commande un petit gâteau, tu le mangeras bien, non ? Au moins un morceau ! Un cupcake à la citrouille, c’est la saison, s’il te plaît ! Et tu en croqueras un bout, j’insiste. »

J’aimais beaucoup Alice ; mon jeu de séduction n’avait pas franchement fonctionné sur elle aussi avais-je pris l’habitude de presque la traiter comme une sœur lorsqu’elle travaillait chez Granny. Elle avait toujours des histoires fascinantes que j’écoutais avec attention. J’étais admiratif de ces fables et posais souvent beaucoup de questions pour en savoir plus. Elle m’inspirait beaucoup. Certains disaient d’elle qu’elle était folle mais, pour moi, la folie était synonyme à la fois de sagesse et de grandeur. Tant qu’elle ne se blessait pas et ne blessait pas autrui, pourquoi la traiter de manière différente ? Et puis, elle avait toujours été très gentille et aimable malgré ses apparents soucis du quotidien.
J’allais rapidement aux toilettes pour me débarbouiller avant de revenir à ma place, attendant qu’Alice apparaisse à nouveau. Je n’avais pas fini de m’assurer que tout allait bien pour elle.

Devant la blessure sur le bras d’Alice, je fronçais légèrement les sourcils mais ne pris pas de grands airs dramatiques, content qu’elle accepte de prendre une pause de quelques minutes pour se joindre à moi à ma table. J’étais un homme capable de s’enflammer pour peu de choses lorsque quelqu’un me tenait à cœur, et j’avais généralement gain de cause. Alice n’en fit pourtant qu’à sa tête, jeune femme bornée et têtue, et je n’eus pas le temps de la retenir : elle ramassait déjà le verre brisé sur le sol et me rapportait ma boisson. J’échangeais un regard appuyé avec Granny qui, hochant la tête, proposa à Alice de prendre une pause bien méritée. Content de voir ma jeune amie reprendre sa place en face de moi je lui fis un clin d'œil. Avec mon cupcake à la citrouille et ma boisson chaude, je me sentais comme un roi et poussai mon assiette en direction d’Alice pour que, comme promis, elle en croque un morceau. Elle avait l’air épuisé, au bout du rouleau.

« Tu sais, il faut savoir profiter un peu de la vie parfois ! Mange-moi ça, et profite de la belle saison d’Halloween. Tu vas te déguiser, cette année ? Je vais participer à une petite fête costumée, le soir du trente-et-un, si tu as envie de te joindre à moi ce serait avec plaisir. Je connais quelques personnes, là-bas, mais je ne sais pas encore quel costume je vais porter, pour ma part. Il y a tellement de possibilités ! On m’a suggéré un épouvantail, l’autre jour, honnêtement, je ne sais pas comment je dois le prendre. » j’éclatai de rire et bus une gorgée de ma boisson. « Allez, mange, il paraît que ça fait grandir. »

Je voyais bien, au-dessus de la tête de ma jeune amie, les nuages de soucis et d’inquiétudes qui s’y formaient. Une petite moue prit naissance sur mon visage et je décidai d’essayer de l’égayer un peu, de permettre à ses joues de reprendre quelques couleurs. Pour changer ses idées, je choisis donc de parler - car tel était l’un de mes plus grand atout : la parole. Lui parler de tout, et de rien. De mon train de vie, de mes projets, de ce bonheur d’exister, tout simplement, et d’accepter les choses telles qu’elles étaient, sans chercher à les changer.

« Moi ? Oh, lala, jeune amie, quelle question m’as-tu posée là ! J’espère que tu as ton après-midi de libre, car il y a tellement de choses à raconter. Pour commencer, demain, c’est le grand jour ! Notre première, avec ma troupe, pour notre création originale : Contes d’antan. Un récit qui recoupe les aventures fascinantes d’un homme aux pouvoirs impressionnants, chargé de poursuivre des créatures fantastiques, et qui se retrouve dans l’engrenage d’un complot politique. Bien sûr, je joue le rôle de ce héros sombre et torturé - n’ai-je pas l’allure d’un brave ? Aussi, je venais à tout hasard déposer des affiches. » je sortis les affiches et les flyers de mon sac et les montrais à Alice avec l’excitation d’un jeune enfant le soir de noël. « Tu sais, d’où je viens, l’art, s’il est bien entendu promu, est beaucoup moins prolifique qu’ici, aux Etats-Unis. J’ai grande hâte ! Il y aura bien sûr quelques chansons - car que serait le monde sans un quelconque entrain musical ? »