Lentement, il humectait ses lèvres légèrement déshydratées. Il ne quittait pas son poste. L’iris aligné avec son viseur. Le pointeur parcourait avec lenteur les rues désertiques et délabrées de la ville. Son doigt chatouillait la détente. Il était prêt. Une balle suffirait à faucher la vie de l’ennemi. Il éliminera la menace pour son pays ! Son escadron évoluait en contrebas furtivement, discrètement. Les ravages de la guerre étaient perceptibles. Parmi les carcasses, encore fumantes, de véhicules civils et militaires, des corps calcinés, démembrés et sanguinolents. Ils restaient là, à la vue de tous, rappelant perpétuellement les atrocités commises. Abandonnées, les dépouilles appâtaient les charognards et les bestioles délaissées à leur sort. Dans ce théâtre mortifère, l’humanité n’existait plus. L’abomination régnait en maître ! Anderson n’échappait pas à cette règle. Il ne comptait plus le nombre de cibles abattues… Il ne s’y intéressait plus… Le sang de ses victimes abreuvait le sol aride de cet endroit. Sa conscience s’enlisait dans cette barbarie, qu’elle commençait à trouver réconfortante. Une banalité du quotidien qui lui rappelait constamment qu’il était en vie. Voilà, son existence depuis quelques années. Un monstre baignant dans son élément.
Subitement, une ombre se mouva. Dans l’un des balcons en face de lui, un corps s’extirpa de la bâtisse. Par reflex, il pointa le viseur de son arme sur cette cible. Son esprit analysa la situation. Cet élément perturbateur se révéla être un enfant. Légèrement incliné vers le sol, il traînait un sac en tissu assez lourd. Agacé, il abandonna ce lourd butin et se précipita jusqu’à la rambarde. Ses frêles mains s’enroulèrent autour du métal. Trop petit, il se redressa sur la pointe de ses pieds pour observer les militaires au loin. Aucune menace ne semblait émaner de lui. L’enfant déposa une vieille caisse contre la barrière et repartit en direction du sac. Maladroitement, il extirpa un objet du sac en toile. Son front se plissa. Une certaine contrariété se lisait sur son visage. L’enfant en question arma sur son épaule un vieil RPG-7. Sa présence signifiait que d’autres terroristes grouillaient parmi les murs de cet endroit. Cette information le contrariait énormément… Abattre un enfant ? Cet élément était loin de le perturber. Cette barbarie était devenue une routine. Les opposants utilisaient les enfants pour parvenir à leur fin. Ils n’étaient que de la chair à canon qu’on sacrifiait sans préoccupation. Ignominie humaine ! Chargé, le gamin laissa tomber lourdement la rampe de lancement de l’arme sur le métal. Frêle. Il l'utilisait comme appui pour la mise à feu. Le centre du viseur s’aligna avec la tête de l’enfant. Son index pressa la détente. Avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoi que ce soit, un bruit sourd détonna. Sous l’impact du projectile, son sang et des lambeaux de chair s’imprégnèrent sur le mur traité à la chaux. Le cadavre, encore chaud, s’écrasa lourdement au sol.
Le souffle d’une puissante déflagration propulsa Kai contre le mur. Son talkie-walkie crépita des ordres accompagnés d’un mot qu’il distingua particulièrement : embuscade. Assommé et désarmé, il se redressa difficilement et tituba jusqu’à la sortie. Une seule chose l’importait : sortir de ce bâtiment en proie à l’effondrement à cause de l’explosion. Incapable d’abandonner un homme, l’escouade se rapprocha de la position d’Anderson. Blessé à la jambe, Kai encaissait la douleur. S’il le fallait, il ramperait comme un rat jusqu’à la sortie ! Parmi la poussière, il aperçut la lumière et s’engouffra dedans. Plus loin, deux Américains beuglaient en sa direction avant d’accourir vers lui pour l’entraîner loin de ce foutoir. Une autre explosion retentit. Sous cette force, un pan du bâtiment s’effrita. Ses iris s’écarquillèrent en apercevant le béton dégringolé. Il n’eut pas le temps…
« Putain ! » Hurla-t-il. Plus rien. Plus un bruit. Le néant. La douleur s’estompa... Kai sombra dans une torpeur agréable… Seule sa rage lui tordait les boyaux ! Il allait mourir ici et maintenant… Par ces foutus terroristes… Malgré les appels de ses collègues, il finit par sombrer, inconscient.
Fort Sill, Oklahoma, USAAssis sur l’un des sièges, Kai attendait patiemment son tour. Sa main se déposa sur sa jambe droite. Par moments, son moignon lui faisait atrocement mal. Son service militaire venait de lui causer un mal irréversible. Le sergent Kai Anderson venait officiellement de prendre sa retraite. Les combats sur le front n’étaient plus dans ses capacités physiques. Il fut envoyé à Oklahoma, afin d’y obtenir les soins nécessaires.
« N'hésitez pas à masser votre moignon... Et surtout, vous êtes en vie, Sergent Anderson ! Essayez de passer de bonnes fêtes. » Lui avait dit le médecin. Une vaine tentative d’appliquer du baume sur le cœur de ce soldat. Il haïssait Noël… Chaque année, il faisait en sorte d’être au front. Encore peu habitué à sa prothèse, Kai utilisait des béquilles pour l’aider dans sa motricité. Sa rééducation se fera, ici, au Fort Sill… Originaire du Michigan, et bien loin de chez lui, il n’eut d’autres choix que de parcourir l'annuaire des logements disponibles. Une annonce en particulier attira son œil. Une habitante de Lawton proposait une possibilité de logement. Une aubaine pour lui ! Sans plus attendre, il arracha l’un des bouts de papier et prit contact avec cette dernière.
Le lendemain, son taxi se parqua dans l’allée d’une demeure joliment décorée pour les fêtes. À la vue de ce florilège de décoration, il haussa un sourcil. Sur tous les habitants de ce patelin, il devait tomber sur la vieille ménagère accroc à ses conneries. Un profond et long soupir s’extirpa de sa gorge. Muni de ses béquilles, Kai remonta l’allée et sonna à la porte. En attendant, ses yeux se posèrent sur l’horripilant Père Noël qui saluait les invités avec la même cadence. Ce cliquetis métallique l’agaça profondément. Sauvé par l’intervention de la jeune femme, il détailla la personne qui se présenta à lui.
« Padmé Skywalker ? » Un certain dédain teintait ses paroles. Apparemment, la détentrice de cette bâtisse n’était pas une vieille mégère affublée d’une tenue de Mère Noël, mais plutôt à une jeune femme radieuse.
« Je suis le sergent Anderson. On s’est parlé hier après-midi pour la chambre » Son furtif coup d’œil sur sa jambe ne lui échappa pas. Ses sourcils se plissèrent. Le chien était prêt à mordre à la moindre remarque.
« Hm… Un problème ? »
