(Five) everything leads me to you

w/ @Ethan J. Hargrove

« Vous n’avez pas le choix, mademoiselle. Il vous faut un tuteur. » Ruby fixait son professeur et elle ne disait rien. Souvent, la slovène était silencieuse. Elle n’en voulait pas du tuteur. La jeune femme savait se débrouiller toute seule. Puis, il lui faudrait parler, il lui faudrait dire à la personne qui viendrait qu’elle ne pouvait articuler deux mots sans bégayer et aussi qu’elle ne comprenait pas encore la langue. « J’ai la personne qu’il vous faut. » Elle ferma les yeux. Ce cursus coûtait cher. Sa mère se saignait aux quatre veines pour qu’elle puisse venir ici. La rouquine prit donc une profonde inspiration avant de hocher la tête. Elle n’avait pas encore idée à quel point cette rencontre allait changer sa perception de la vie.

Quelques jours plus tard, elle avait eu la confirmation du rendez-vous. Donc elle partit à la bibliothèque. Son lieu de prédilection. Son mug de thé fumant devant elle, ses longs cheveux détachés alors qu’elle lisait de manière consciencieuse un livre sur la mode qui était conseillé dans le cursus. La jeune femme portait l’uniforme de l’école qui ne lui allait guère. Elle préférait ses robes de velours. Mais le temps commençait à se réchauffer. Donc, elle ne pouvait pas se permettre de ressembler à un chiffon alors qu’elle allait voir la personne qui contribuerait à sa réussite. Ses lunettes sur le nez, elle fixa alors sa montre. Comme à son habitude, elle était toujours en avance.
De quelques minutes seulement.

Ruby posa son ouvrage, but une gorgée de son thé avant de tourner la tête. L’endroit était désert. Ce ne fut que lorsque la porte s’ouvrit qu’elle se releva. Mais elle se prit les jambes dans son sac et bascula en arrière. On n’a jamais dit que Ruby était douée. Pestant contre elle-même dans sa langue natale, elle se releva, lissa son uniforme affreux avant de porter son regard sur la personne qui se tenait en face d’elle. La jeune femme était perdue. Il était jeune, très jeune. « E… E… » Merde, merde, merde. Voilà que cela la reprenait. Elle déglutit avant de commencer à jouer avec ses mains. « Ru… Ruby. Tu… tu… tu es E… E..Ethan ? » Sa voix était douce, quelque peu craintive alors qu’elle autorisa un petit sourire. la demoiselle lui indiqua la table. Bien qu’elle le surplombât d’une tête et demie. Sans trop poser de question. « Je… Dé… dé… désolée. Tu… tu… » devait t’attendre à quelque chose de mieux qu’elle. Elle vint s’asseoir avant de passer une main dans ses cheveux. Nervosité est second prénom. Et elle n’était pas la plus à l’aise avec ses pairs.

w/  @Ethan J. Hargrove    

C’était un fardeau. Que d’être dans la peau de Ruby. En plus de bégayer, elle était d’une maladresse infinie et supportait très mal la proximité de ses pairs. Peu de personnes avaient la chance de pouvoir la côtoyer ou l’approcher. Et l’opinion que la slovène avait d’elle-même n’aidait en rien. Il suffisait de la voir rentrer la tête dans ses épaules, mâchouiller sa lèvre ou taper gentiment le long de sa longue jambe pour cacher sa nervosité. Ainsi, elle avait besoin d’un tuteur. La demoiselle avait conscience du fardeau que cela serait pour la personne qui accepterait de la prendre en charge. Car elle avait deux barrières au niveau linguale. Elle bégayait et ne comprenait pas encore parfaitement l’anglais. Même si elle se plaisait à lire des romans dans la langue de Shakespeare, son cerveau ne tournait qu’en slovène. La rouquine n’était pas ignare mais disons que tout ce qui touchait le langage représentait une montagne qu’elle pensait infranchissable. Alors qu’elle tombait à la renverse, jurant dans sa langue maternelle, la demoiselle retrouva bien vite ses esprits avant de finir face à un écolier. Rapidement, ses yeux firent la navette avant de reconnaître le blason qu’elle arborait elle-même sur cette veste affreuse. Pas un écolier, se dit-elle, un génie. Et elle écarquilla ses grands yeux bleus de surprise avant d’essayer, de s’évertuer à parler. Mais elle n’était dans le fond qu’un disque rayé, de ceux que l’on jetait dans un coin et qu’on oubliait. Ainsi, sa main commença à tapoter sa jambe alors qu’elle invita ledit Ethan à s’asseoir à côté d’elle.

Le compliment qu’il lui fit sur sa voix, la fit rougir jusqu’aux oreilles. Et elle baissa alors la tête pour se cacher derrière la longue crinière rousse qui tombait de part en part de son visage d’albâtre. « Hv… Hvala Vam, murmura-t-elle à l’adresse de son professeur avant de se rendre compte qu’elle avait encore une fois répondue en slovène, ça… ça… v… v… veut dire mer… mer… merci en slo… slo… slovène. » La jeune femme se tourna vers le garçon avant de venir se planter son regard céruléen dans celui de son interlocuteur. « dé… dé… désolée, je… je… je v… v… viens de Slo… Slo… Slovénie et… et… le… le… ni… » Elle baissa la tête, frustrée de ne pas pouvoir aligner correctement deux mots sans se mettre à dérailler. Doucement, elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration. « Le niveau n’est pas le même. » Il lui suffisait de voir la phrase dans la tête pour la dire. Mais pour parvenir à cette finalité, elle devait rompre le contact visuel avec Ethan car la présence d’autrui la désarçonnait. « razumel, učitelj. » Aie, aie. « Par.. par… pardon. Compris, professeur, traduisit-elle avec son lourd accent. »

Elle finit par se pencher pour saisir sa besace qui était pleine à craquer de diverses choses. Enfin ses doigts se refermèrent sur ses anciens cours qu’elle posa sur la table avant de les faire glisser vers Ethan. Puis, consciente que ses cheveux la gênaient, elle vint se saisir d’un de ses stylos pour les relever sur le dessus de sa tête. Elle n’aimait pas qu’on la regarde. La chose la mettait profondément mal à l’aise. Mais quelque chose lui disait qu’il en aurait besoin. Puis, alors qu’il devait sans doute parcourir ses notes écrites d’une lettre manuscrite très aérienne, elle prit appui sur le plat de sa main pour le regarder. « T’es un génie ? » La question est purement rhétorique. Bien entendu qu’il en était un. La jeune femme soupira avant de se rendre compte de sa bêtise avant de mâchouiller sa lèvre. « ça… ça… » Ok, on recommence. Nouvel exercice. « Tu vas devoir être patient. » Elle montra sa gorge. Signe que cela serait une véritable barrière. « Je… Je…, commença-t-elle doucement, me… me… demandai… ce… ce… que… cela f… f… faisait de trou… trouver tout l… l… le monde bête ? » Elle, compris. Les gens intelligents ou surdoués l’intriguaient. Ethan l’intriguait. Sans doute car il était comme elle. En marge de la société. Et puis autant faire la conversation même si cela lui demandait des efforts démesurés. La jeune femme se voulut engageante et non blessante. Ou trop intrusive. Donc malgré elle, ses lèvres s’étirèrent. Pour servir au garçon un large sourire, trop lumineux pour la situation afin de le mettre un peu plus à l’aise. Et surtout de lui montrer qu’elle n’éprouvait aucun jugement à son encontre.
Juste une certaine fascination.

w/  @Ethan J. Hargrove    

Ruby a toujours été fascinée par la différence. Raison pour laquelle elle s’abreuvait de temps de récit. Donc c’est tout naturellement qu’elle regarde Ethan en étant vraiment intriguée. Sans se rendre compte du regard qu’elle posait sur le jeune homme qui se tenait à ses côtés. La jeune femme lui sourit avec bienveillance avant d’opiner. Elle ne doutait pas qu’il allait l’aider à avancer dans la matière qui lui posait défaut. « Tu… tu… v… veux a… a… apprendre le slo… slovène ? » Après tout, c’était peu courant les personnes qui désiraient connaître sa langue maternelle. Celle dans laquelle elle s’exprimait trop souvent, malgré elle. Dans ce pays où elle n’avait encore aucun ami et où la solitude ne lui pesait pas tant que ça. La jeune femme était habituée après tout. Déjà en Slovénie, elle était seule. Donc pourquoi est-ce que cela changerait d’un pays à un autre ? « Mieux qu’Einstein, lança-t-elle pour elle-même. » Elle écarquilla grand les yeux. Après tout, Ethan était véritablement un génie. Et elle n’émettait aucun jugement là-dessus. Bien au contraire. Qu’il soit nerveux ou acerbe, cela lui semblait normal. Alors qu’il se confie sur son exclusion, elle opine. Elle aussi ressentait ça mais pas au gré de son cerveau. Alors, Ruby a un geste qui la surprendra plus tard. Elle déplie ses doigts graciles pour venir les poser sur ceux d’Ethan, les nouant aux siens. Son cœur connaît une embardée car le contact n’était pas aisé pour cette femme qui avait peur de tout le monde.

Puis, sans se défaire de ses doigts, elle l’invite à se lever. Avant de se déplier totalement. Elle le fixe de son regard si clair avant de mâchouiller sa lèvre inférieure. Presque quinze centimètres les séparaient. « 1m82. » Une haute stature, des jambes interminables. Une allure de mannequin pour une femme si peu assurée d’elle. « On m… m… m’a… m’appelle la gi… gi… rafe. » Rousse, bègue, avec une haute stature. La demoiselle comprenait ce petit bonhomme. Le monde dans lequel il évoluait. Lui qui allait trop vite pour le restant des mortels. Alors de nouveau, la slovène a un geste qui peut s’avérer inédit. Elle amène Ethan contre elle avant d’hésiter. Sa main vacante se pose dans le dos du génie pour s’avérer réconfortante. Et aussi insolite fut cette étreinte, elle lui semblait presque familière. « Va donc à 100 à l’heure, chuchote-t-elle en remontant ses doigts dans sa nuque, je te rattraperai. » En deux enjambées. Même si elle était bien loin d’avoir un esprit aussi vif que le sien. La jeune femme se maintenait dans la moyenne pour ne pas se faire remarquer. On ne saura dire ce qui a motivé ce câlin improvisé si ce n’était qu’elle avait ressenti son exclusion tout comme la sienne. Et qu’elle le comprenait. Bien que l’envie de le maintenir contre elle fut présente, trop familière, elle y mit fin avant de souffler un bon coup. « Je… » Les yeux perdus dans le vague. « Dé… dé… solée. » Elle eut un petit sourire contrit avant de retourner sa place. La présence corporelle du jeune homme la troublait. De nouveau ses doigts si fins se posèrent sur la tempe de son tuteur. « Un cerveau d’adulte. » C’était ainsi qu’elle le verrait et pas autrement. Il pourrait tempêter pour cette proximité non désirée. Alors qu’elle le couvait d’un regard trop tendre, elle détourna les yeux, gênée. « A quel point je suis mauvaise alors ? » Sans bégayer, sans avoir à faire d’efforts. Avec ce sentiment de familiarité bien trop présente. Elle eut un petit rire qui sonnait comme un tintement de mille clochettes aux yeux des rares qui l’avaient entendu, essayant de détendre l’atmosphère. Et surtout de calmer son myocarde qui était trop vif.
Mais qu’est-ce qui lui arrivait bon sang ? C’était à ne rien y comprendre.

w/  @Ethan J. Hargrove    

La slovène est la parfaite combinaison entre douceur et angoisse. avec cette peur de mal faire constante, elle ne cessait de se prendre les pieds dans ce qu'elle faisait ou pouvait dire. On ne saurait dire pourquoi elle était tant troublée par la présence de son tuteur. Etait-ce sa voix qui lui semblait familière ? Son attitude ? Ou alors juste la proximité physique avec un homme qui voyait au-delà que son physique de poupée. Perplexe, un peu perdue, elle l'écoutait parler avant d'avoir un léger sourire. "Tu... tu... tu m'a... a... appr... apprends les... les... maths et... et... et moi, le slo... slo... slovène"" Une vaste blague. Il aurait plus vite fait d'aller chercher des cours en ligne qu'auprès d'elle. Curieuse, Ruby prenait conscience qu'Ethan était une énigme. Donc, elle prit soin de poser quelques questions. Toujours d'une manière délicate, histoire de ne pas le froisser. Sa peur de mal faire encore une fois. Mais un geste la surprit. Lorsqu'elle posa sa main gracile, fraîche sur celle d'Ethan. Et le contact lui était familier. Trop familier. Cependant, elle eut vite fait de se redresser sur les cannes qui lui servaient de jambes pour se déplier face à lui. Son statut de girafe, les moqueries de la part de ses camarades qu'ils  soient slovènes ou américains. Et ce sentiment de n'appartenir à aucune caste. La jeune femme ne contrôlait ni ses mots, ni ses regards, ni ses gestes. Comme si elle n'était dans le fond qu'une simple poupée désarticulée. Comme si sa vie ne lui appartenait pas ou qu'elle n'avait pas lieu d'être. "Et fait environ 600 kilos." Encore une fois, comme la remarque sur le QI d'Einstein, elle avait lancé ceci plus pour elle-même que pour lui.

Il était triste le constat.
Qu'une personne aussi belle intérieurement et extérieurement soit aussi seule.

"Je... je... lis beau... beau... coup, justifia-t-elle." Elle aurait pu lui citer mot pour mot les grands auteurs qu'elle avait dévoré mais à la place, elle accueillit de nouveau la remarque d'Ethan sur les étiquettes avec un sourire triste. Comme elle le comprenait notre si belle poupée mélancolique. "La tienne ? Demanda-t-elle prendre dans un murmure." Plus les minutes s'étiraient au contact d'Ethan, plus sa voix baissait en tonalité et devenait de plus en plus doucereuse. Comme si elle essayait de l'envelopper dans une sorte de cocon réconfortant.
Peut-être était-ce ça son rôle ? De lui prodiguer une douceur qu'il ne semblait pas connaître.

La jeune femme le sentit se tendre alors qu'elle était dans ses bras. Comme si, cela lui était peu familier. Et pourtant lorsque la pulpe de sa peau rencontra celle d'Ethan, beaucoup plus chaude que la sienne, elle aurait juré qu'il s'était détendu. Tout comme elle. "Familier." Le mot était sorti encore une fois sans réellement avoir de sens alors que son regard céruléen était perdu dans le vague. Cependant, Ruby ne fut pas surprise du rejet. Elle en aurait presque ri si cela ne l'avait pas autant perturbé. "Je n'aime pas qu'on me touche, lança-t-elle d'une voix quasiment absente, je n'aime pas toucher non plus. C'était... la première fois depuis..." Depuis cette fameuse nuit où l'homme avait failli abuser de notre si jolie poupée. Instinctivement, elle se recula. Ce n'était pas par peur, ni par rejet envers Ethan mais une marque de respect prompt aux slovènes. Posant la main sur sa propre poitrine alors que son myocarde peinait à se calmer, elle inclina la tête. "Žal mi je*, murmura-t-elle encore plus bas, je ne te toucherai plus." Et elle était sincère.

Alors pourquoi, une fois assise, son index caressa la tempe du jeune homme ?
Elle appuya son coude sur la table et se mit à réfléchir. Son cerveau tournait à vive allure. Pourquoi avait-elle touché Ethan alors qu'elle ne supportait pas le contact ? Et surtout pourquoi l'avoir tenu si près de son coeur ? "Peut-être que le contact te brûle car tu es une météorite " Bon, son raisonnement n'avait aucun sens. "A... A... Attends." Elle réfléchissait en slovène et trop vite. Il fallait réussir à transposer ses pensées en anglais pour pouvoir les exposer à Ethan. "Bonaparte disait: Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle." Bien sûr, cite du Bonaparte en plein cours de maths, espèce d'imbécile, se fustigea-t-elle. "Comme tu brûles les autres de ton intelligence, il est normal qu'au contact d'autres atomes, cela soit toi qui brûles. C'est comme de l'éléctronégativité. Le tout s'annule." Puis secouant la tête, elle se rendit compte qu'elle était sans aucun doute partie trop loin avant de rentrer sa tête dans ses épaules. Comme si dans le fond, elle n'était qu'une tortue avant de rougir jusqu'à la racine de ses cheveux.

Parlons mathématiques plutôt.

La jeune femme lui accorda un rire avant de se pencher sur ses notes. "Je veux bien apprendre de nouvelles méthodes. J'apprends vite." Enfin, disons qu'elle apprend à son propre rythme. "Je n'ai pas d'amis donc ça me fera une occupation." Notons qu'à cet instant, son bégaiement avait complètement disparu. Son esprit étant focalisé sur autre chose, la diction en oubliait de sauter. "D'a..." Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'Ethan était déjà debout, parti trouver un livre de mathématiques, digne de son intérêt à lui.

Ruby posa sa tête sur sa table, la recouvrant de ses bras pour cacher sa honte. "T'essaies de rentrer dans le sol, la girafe ?" Oh non. Pas eux. Qu'est-ce qu'il faisait là ? La demoiselle redressa la tête alors que ses yeux bleus rencontrèrent deux billes noir d'encre qui la scrutaient. Le visage trop près. "Se faire repousser par un gamin de 15 ans... Pathétique." Il avait vu toute la scène. "Tu ferais mieux de rentrer chez toi. T'as pas ta place ici." Racisme, discrimination, coup classique. L'étudiant tendit sa main vers elle mais elle se recula manquant de tomber de sa chaise avant de se lever et déguerpir aussi rapidement. Comme un animal en fuite. Qu'on la rabroue physiquement passait encore. Tout comme ses origines. Mais pas qu'on la touche. Alors, elle rejoignit Ethan, cachant ses mains tremblantes dans les poches de sa veste. Avec un peu de chances, il n'aurait rien vu de la scène misérable qui venait de se dérouler non loin. "Tu... tu... tu me... me..." Ok. On oublie la parole. Alors, elle montra les livres du menton en essayant de sourire pour lui demander ce qu'il avait choisi.

traduction a écrit:

Je suis désolée*

w/  @Ethan J. Hargrove    

Sa mère ne cessait de le dire à la jeune slovène qu’elle devait s’endurcir, qu’elle devrait vaincre sa timidité un jour. Cesser de vouloir se cacher derrière sa lourde chevelure couleur carmin, qu’il lui faudrait affronter le monde au lieu de vivre dans des récits. Mais la vérité était qu’elle n’aimait pas le monde dans lequel elle évoluait. Celui où on la faisait se sentir comme une géante, rejetée à cause de son handicap et maintenant de sa nationalité. Les Américains n’ont jamais bien accueilli les personnes comme elle. Qui venaient des pays de l’Est. On les voyait souvent comme des communistes. Elle qui penserait qu’elle trouverait le moyen de se faire des amis, se retrouvait esseulée dans cette bibliothèque en proie à une fascination devant cet adolescent pour le moins étonnant. « La… La mémoire é… é… éditique. » Elle vint à réfléchir car elle avait lu quelque chose là-dessus, il y a longtemps. Il y avait des signes qui ne trompaient pas lorsqu’elle se mettait à réfléchir. Elle levait le nez et tournait la tête à gauche. Un vrai tic qui trahissait sa concentration. « Comme dans L’homme qui n’oubliait jamais ? Demanda-t-elle. » Son regard si clair rencontre les deux billes émeraudes qui caractérisaient celui d’Ethan. « Je vois. Pourquoi ça ne serait pas drôle, rétorqua-t-elle avec un sourire, tu pourras m’apprendre des choses. » Elle se fit engageante avant de laisser échapper un rire assez léger. Ils étaient rares ceux qui l’avaient entendu rire. Elle ne dirait pas chanceux car elle n'aimait rien de ce qui provenait d’elle. Ni son physique d’asperge, ni sa voix. Raison pour laquelle elle ne faisait pas ses exercices. Histoire d’entretenir la barrière.

Barrière qu’elle laissa tomber petit à petit en se mettant debout face à Ethan. Avec ses jambes trop longues, ses bras si blancs cachés par cette affreuse veste et ses nombreuses taches de rousseur sur son visage affiné. La jeune femme vint à rougir devant l’examen que faisait l’adolescent. Elle en vint naturellement à lui demander son étiquette avant de réfléchir. Deux doigts sous le menton. « Il est plus facile de détester ce que l’on ne comprend pas que de chercher à apprendre et apprivoiser la personne. Je ne dirai pas insupportable. Mais je t’aurai trouvé un surnom d’ici la fin de la session. » De nouveau ses fines lèvres s’étirèrent dans un sourire alors qu’elle sentit la solitude qui étreignait le garçon. Raison qui la poussa à le tenir contre lui pendant quelques secondes. Son corps se réchauffa à son contact mais elle ne prit pas mal le rejet. Elle était habituée et troublée par son propre geste. Donc elle vint s’asseoir de nouveau à ses côtés pendant que son doigt se posa malgré elle sur sa tempe. Et que le regard d’Ethan scruta le sien, trop intensément. La jeune femme, timide, détourna le regard en rougissant. Puis, elle essaya de fournir des explications rocambolesques qui venaient dans son esprit trop imaginatif. Lorsqu’elle entendit le rire d’Ethan, un frisson parcourut son corps à mesure qu’elle se racla la gorge pour poursuivre ses explications. Pendant un instant, une nouvelle complicité commença à se tisser entre le tuteur et l’élève. « Je pense… » Elle se massa la nuque avant de réagir à ce qu’il venait de dire. « Je ne dirai pas que tu viens d’une autre planète. Mais plutôt qu’il faut réussir à t’atteindre avant de parvenir à te toucher. » Elle leva la main pour lui demander de laisser le temps d’étoffer sa théorie. « Vois-tu, tout génie a sa… sa… sa muse. Bill Gates, Einstein, Picasso, Steve Jobs même si Stephen Hawkings. Bon tu m’as dit que t’étais un beep beep…” Personne ne saisira sa référence au dessin-animé. « Mais je suis quasi certaine que pour atteindre ta planète, il faut réussir à tisser un lien avec toi. Bon si tu laisses pas les autres faire, c’est ton choix. Mais comme t’es brillant et brûlant, il faut pouvoir être… » Elle chercha ses mots comme une véritable calamité. « digne de ton intérêt. T’es un peu comme le marteau de Thor. Seul l’être qui sera digne sera à même de pouvoir soumettre son CV à Lord Ethan et de pouvoir le toucher, plaisanta-t-elle. » Un petit rire s’échappa de ses lèvres sans qu’elle ne le contrôle alors qu’un sourire plus grand. « Et je ne suis pas intelligente. Je suis cultivée. Comme un champ de pâquerettes. » Elle ferma les yeux de dépit face à sa tentative humoristique raté. « Et j’ai un humour étrange. » Pendant un instant, elle n’osa pas le regarder avant de rougir encore plus lorsqu’il affirma qu’il était son ami. La slovène resta sans voix, le laissant quitter la table pour aller chercher d’autres livres.

La suite des évènements était à la fois prévisible et malheureuse. Que les garçons qui la tourmentent, viennent la trouver pour vouloir la toucher. Ce n’était malheureusement pas la première fois et ça n’était pas la dernière. Elle partit donc sans demander son reste se cacher dans les étagères pour retrouver Ethan. L’adolescent leva son regard si vert vers le sien et elle ne sut que répondre avant de voir qu’ils l’avaient suivi. La jeune femme regarda la scène en spectatrice, son être tremblant comme une feuille. Son nouvel ami qui allait au devant pour la défendre avant de se faire soulever de terre. Elle voulut s’insurger mais la surveillante vint calmer le jeu, séparant Ethan de ses agresseurs. Ruby vit rouge pendant un instant. On ne saura dire ce qui motivera son geste. Si c’était ce besoin maladif de protéger le garçon, le lien qu’ils étaient en train de tisser et qui était plus fort qu’elle n’oserait se l’avouer ou alors l’injustice. Mais elle les suivit. Malgré son angoisse et sa timidité maladive. « Hé, kreten* ! » Celui qui avait agressé Ethan se tourna vers elle, la fixant avec un demi-sourire. « Oui la girafe ? » D’un coup précis, vif comme le serpent qui chercherait à attaquer, elle porta le côté de sa main, raidie comme une feuille, à la pomme d’Adam pour lui couper la respiration. L’homme vint aussitôt porter la main à sa gorge, peinant à reprendre son souffle. Le dominant de sa haute stature, après un regard d'avertissement sur quiconque oserait s'en prendre à Ethan à nouveau; elle tourna les talons pour rejoindre l’adolescent qui avait été secoué.

Revenue jusqu’à lui, elle ne savait pas ce qu’il avait vu ou même s’il l’avait vu faire. Mais elle décida de ne pas commenter son geste. « Je suis désolée, chuchota-t-elle. » Elle se tourna vers lui, levant la main pour s’assurer qu’il n’était pas blessé mais stoppa son geste dans son élan, se rappelant qu’elle risquait de le blesser. Alors, son regard océanique se contenta de l’inspecter, les larmes aux yeux, trop émotive. La slovène fixa la cravate défaite avant de la pointer du doigt. « Est-ce que… je… je peux te la remettre ? Demanda-t-elle timidement. » Elle n’osait pas le faire sans son consentement, histoire de ne pas le gêner encore plus. Alors elle laissa son regard dériver un peu. Son esprit vagabonda, rebondissant sur ce qu'il avait dit plus tôt et le fait qu'il était son ami. « Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde, cita-t-elle dans la langue de Molière. » Elle passa une mèche de cheveux derrière son oreille. « Je te l’ai dit que j’avais un esprit trop imaginatif. Mais tu n’es pas insupportable, Ethan. Tu vis sur ta planète comme le Petit Prince, planète que je n’atteindrai jamais. Donc à défaut d’être ta rose prisonnière sous sa cloche de verre, je veux bien être ton renard et tu… » seras mon petit prince, voulut-elle conclure. Alors qu’elle couva l’adolescent d’un regard bienveillant avant de reporter ses yeux vers les livres, dans l’attente qu’il dispense la leçon. Inconsciente qu’avec ses douces paroles, elle avait renforcé le lien qui se tissait entre eux. Le rendant plus lumineux que jamais. Indestructible.

traduction a écrit:

kreten = connard
la citation tirée de Le Petit Prince est en français dans le texte