Can you see me ? (Charlie)

Can you see me ?

Je m’étais réveillé ce matin de bonne heure, lové dans les bras de l’homme de ma vie. J’aimais ces moments passés dans le monde moderne plus qu’aucun autre. Ici j’avais enfin l’impression de pouvoir rester moi-même. Me balader le long des rues, ma main glissée dans celle de Dorian, posant mes lèvres sur les siennes dès que l’envie m’en prenait. J’avais rarement connu une telle félicité et un tel bien-être. Dans le Londres du 19ème ces démonstrations d’affection étaient tout simplement impensables voire illégales. J’avais donc beaucoup de peine à vivre cette situation au contraire de Dorian qui lui n’avait jamais eu aucun scrupule. Forcément, en jouisseur invétéré qu’il était ces regards courroucés et choqués de la bonne société de Londres le faisait plus rire qu’autre chose. Cependant, il avait assez de respect pour moi pour accepter de temps en temps de voyager vers l’époque pour me faire profiter d’un grand bol d’air. Je lui en étais très reconnaissant et faisais bien sûr tout pour le lui prouver.

Ce matin d’ailleurs, je m’étais mis dans l’idée de me lever et de quitter notre superbe appartement pour aller chercher des viennoiseries et autres délices pour notre petit déjeuner que nous prendrions au lit. Cela me semblait être une bonne idée et je partis donc guilleret. Je prenais le temps de me balader dans les rues de la ville. Connaissant mon compagnon de toutes manières, le connaissant il ne se lèverait pas avant des heures. Je marchais donc et profitais de cette magnifique ville sous un soleil matinal. Posant de temps à autre mon regard à l’adresse des passants, je décidais d’effectuer quelques pas dans le cimetière non loin de chez nous.

C’était un environnement qui m’avait longuement fasciné. La mort était pour moi quelque chose qui méritait une étude approfondie. J’imaginais que cela venait certainement de mon histoire. J’avais côtoyé la présence de fantômes durant plus d’un siècle enfermé dans mon manoir de Thunder Mesa. Ils étaient devenus mes confidents et mes amis… les seules personnes hormis Castiel et Dorian avec lesquels je pouvais interagir. J’en avais gardé un lien très particulier avec le monde paranormal. Cette expérience m’avait doté de donc médiumniques importants. J’étais très fier à l’idée que je puisse posséder une capacité qui dépassait l’entendement de la plupart des mortels. Cela m’amusait parfois de savoir que j’étais le seul à capter leur présence et à pleinement en profiter.

D’ailleurs, mon œil fut attiré quelques instants après mon arrivée par une jeune femme que je n’avais jamais vu auparavant. Une mignonne petite rouquine qui semblait véritablement perdue. Les autres personnes ne captant pas sa présence pourtant proche, j’en tirais la conclusion habituelle. Elle était décédée et ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait. Je m’approchais d’elle discrètement et tentais une approche.

« Bonjour, je n’ai pas pu manque de remarquer votre présence. Vous êtes si différente des autres… en avez-vous seulement conscience ? Comment vous appelé vous ? Moi, je me nomme Henry Ravenswood. »

Can you see me ?

La mort m’avait toujours fascinée. Elle m’avait accompagnée devrais-je dire depuis toujours. Après tout, la devise même des Ravenswood était « Je ne mourais pas totalement » et cela ne datait pas de ma génération. Ma famille avait toujours versé dans le spiritisme et croyait dur comme fer à une vie après la mort. C’est sans doute pour cela que nous aimions prendre autant de risques. Fréquenter la mort et sans cesse tenter de le frôler, jamais personnes dans ma famille n’avait été aussi loin que moi. Une audace qui avait fini par me coûter très chère puisque je n’avais fréquenté que des morts durant une bonne partie de mon existence maudite.

Cela pourrait sembler surprenant mais ils avaient toujours été de merveilleux compagnons. Bien plus mystérieux et fidèles que la plupart des personnes vivantes. Leur conversation avait le mérite de nous transporter bien au-delà de notre vision terne et étriquée de pauvre mortelle. C’est pourquoi lorsque je rencontrais un membre de leur communauté, je n’hésitais jamais à leur parler et parfois même durant des heures. Après tout, le temps était un concept très relatif après avoir casser sa pipe. Je devais bien admettre que cela m’amusait follement. J’aimais cette idée de posséder un donc qui échappait à la plupart des mortels, même si ces derniers me jetaient parfois des regards très surpris en me voyant parler seul dans mon coin. J’écoutais alors attentivement les propos de la jolie rouquine avant de reprendre la parole.

« Bien sûr que je vous vois ! Il s’agit l’un d’un don que je possède… bien que cela s’apparente également bien souvent à une malédiction. Je suis ravi de faire votre connaissance Charlie. »

Je la regardais alors avec un regard plus scrutateur et profond. Beaucoup de ces êtres errants ne prenaient pas conscience de leur état. Même s’ils étaient dotés de capacités surhumaines, de talent qui dépassaient l’entendement, ils refusaient parfois d’admettre cette simple et cruelle vérité… leur vie s’était achevée. Je reprenais alors la parole, avec mon tact quelque peu maladroit habituel.

« Comment ? Vous ne savez pas ? Etes-vous au moins consciente de votre état ? Pour quelle raison la plupart des gens vous ignorent ou ne vous voient simplement pas ? »

Can you see me ?

Je m’étais toujours sentis à mon aise en compagnie des esprits. Oh certes, mon sentiment de quiétude n’avait rien à voir avec la beauté de la vie après la mort. Les fantômes ne restaient sur terre qu’après une mort particulièrement violente qui leur donnait un sentiment d’inachevé. Ils n’étaient donc jamais très beaux à avoir. De plus, les esprits avec lesquels j’avais passé ma malédiction dans mon manoir de Thunder Mesa étaient tous des personnes que j’avais moi-même assassinées. Autant dire que j’avais passé la plupart de mon temps à me faire tourmenter et que leur présence m’accompagnait jusqu’à aujourd’hui. Il n’est jamais très bon d’être poursuivi par des esprits croyez-moi. Car contrairement aux vivants, il n’est pas aussi facile que cela de s’en débarrasser. Mais la jeune femme n’avait aucun grief contre moi. Elle ne pouvait donc pas être considérée comme une ennemie et notre conversation ne pourrait être qu’agréable. J’émettais un petit rire moqueur lorsqu’elle me demanda depuis quand je possédais ce don.

« Oh cela fait sans doute beaucoup d’année que je le possède. Je l’ai remarqué depuis mon enfance. Il faut dire que ma famille versait beaucoup dans le spiritisme. C’était une époque qui était fascinée par la vie après la mort… mais je pense que cela toutes les époques l’ont connu. Qui ne s’est pas demandé un jour ce qu’il pouvait bien avoir après cette vie. »

Moi je le savais aujourd’hui et clairement la réponse n’était pas aussi plaisante que ce que les gens pouvaient croire. Vivre en fantômes, cela signifiait vivre tous les évènements de la vie derrière un voile. Comme si la vie n’était plus qu’un immense film dont nous serions des spectateurs inactifs. Je devais bien admettre que la proposition de Dorian de devenir semi-immortel me titillait souvent. M’intéressant à nouveau à mon interlocutrice, je buvais avec soin ses paroles.

« Je suis navré d’apprendre que vous avez terminé aussi violemment votre existence. J’espère pour vous que votre mort aura au moins eu le mérite d’être rapide. Vous êtes chasseuse dites-vous ? De quel genre précisément ? »

Can you see me ?

Je discute tranquillement avec la rouquine, comme si pour moi cette situation était la plus naturelle du monde. Cela m’amuse souvent d’ailleurs, de penser que personne n’a la capacité de voir ce que moi je sais et connais. Enfin… si. Il existera toujours de rares personnes possédant ce pouvoir, comme cette petite peste de blondinette dont le souvenir et le parfum ne parviennent plus à quitter ma mémoire et anime encore mes sens. Mais ces personnes sont rares ou se font discrètes. Cela n’est pas étonnant. Même dans ce monde étrange où toutes sortes de créatures se croisent, il reste encore des incrédules incapables d’y croire. Pour eux, seule la vision d’un véritable spectre leur permettrait d’apporter du crédit à ses propos. Autant dire qu’ils passeront leur vie à ne pas croire ce qui est pourtant sous leurs yeux. Dommage pour eux !

« Vous avez raison… mais certaines personnes semblent vouloir s’accrocher uniquement à leurs propres convictions. Cela les rassure en un sens de croire que le monde est à l’image qu’ils souhaitent. Ils manquent pourtant tellement de choses extraordinaires. »

Elle me parle de la difficulté que cela doit être pour moi de détenir cette capacité. Si seulement elle savait à quel point c’était vrai. Je laisse un léger rictus apparaître au coin de ma bouche, restant cependant mystérieux. Elle a beau être un fantôme, j’imagine qu’elle réagirait mal en apprenant que mes fantômes à moi errent depuis plus d’un siècle dans un manoir où ils seront prisonniers à jamais par la faute de leur bourreau qui n’est autre que moi. Être un sérial killer passe rarement bien sur un CV.

« Il est vrai que ce n’est pas toujours évident… certains d’entre eux peuvent se montrer parfois très antipathiques. Mais je fais avec. »

A défaut de pouvoir faire sans. Mais ce n’est que justice après tout. Les esprits tourmentés sont mes victimes après tout. Je me demande combien de meurtriers pourraient encore rester sain d’esprit s’ils savaient que ces pauvres âmes ne les quittent jamais vraiment.

« Ce que vous dites ne m’étonne pas. Certains esprits vivent sans cesse le moment de leur mort. Comme une boucle infinie qui jamais ne cesse. Au moins, vous êtes parvenue à aller de l’avant. J’espère que votre meurtrier a payé cher ce qu’il vous a fait endurer. Mais je comprends votre sentiment de solitude. »

Je porte alors plus d’attention à elle, résolument désireux de pouvoir l’aider. Peut-être qu’en aidant une victime de meurtre, je pourrais adoucir ma culpabilité et me racheter d’une certaine manière.

« Souhaiteriez-vous que je vous aide à contacter vos proches ? Avez-vous un message que vous souhaiteriez leur transmettre ? Je pourrais peut-être faire office d’intermédiaire pour vous. »

Je reste rêveur lorsqu’elle me parle des choses merveilleuses qu’elle a pu contempler dans son existence.

« Je vous envie, vraiment. Je ne connais du surnaturel que le monde des esprits. Votre vie à réellement dû être passionnante. J’aurais aimé voir toutes ces choses… la curiosité est une qualité que j’exerce et affute à toutes occasions. J’aimes découvrir de nouvelles choses. »