Chien en fuite - feat Jeremiah

Chien en fuite

C’était une journée de travail des plus ordinaires. J’avais débuté cette matinée en accueillant la famille endeuillée toute vêtue de noir devant l’église. Ces rencontrer me mettaient souvent mal à l’aise. Je ne trouvais jamais les mots juste lorsqu’il s’agissait d’apporter mon soutien dans ces moments douloureux. Même si je restais tout à la fois poli et professionnel, j’ignorais comment exprimer ma compassion. Fort heureusement pour moi, ce rôle incombait plutôt au prêtre. De mon côté, je devais simplement veiller à ce que les morts soient bien préparés et soit aussi frais et pimpants que possible. Leur cercueil devait sembler douillet et prêt à leur assurer un sommeil des plus apaisant jusqu’au jour du jugement dernier.

Il m’arrivait également parfois d’aider le fossoyeur pour creuser la tombe du mort. Ce n’était pas un travail qui me rebutait bien au contraire. J’appréciais de pouvoir mettre la main à la pâte. J’avais alors le sentiment d’être utile et de ne pas placer mes intérêts avant ceux de mes collaborateurs avec lesquels j’étais amené à travailler. De plus, le fossoyeur Jasper Jones était devenu au fur et à mesure du temps un véritable ami. Je n’en avais pas suffisamment en ce monde pour rejeter cette amitié. Après tout, avoir quelqu’un sur qui l’on peut compter et une chose très importante dans ce monde hostile. Depuis quelques temps j’avais Dorian, certes. Mais notre relation n’était pas la même et l’amour à cette fâcheuse tendance à être tout à la fois plus passionné et fugace qu’une histoire d’amitié.

Ce jour-là, j’avais accepté de remplacer au pied lever mon ami qui devait se rendre à l’hôpital pour s’occuper de sa pauvre mère souffrante. Elle rejoindrait d’ailleurs très certainement les morts qui reposaient en ces lieux. C’était l’idée qui m’avait traversé l’esprit au moment où il m’avait fait part de la situation. Je m’étais cependant bien garder de le lui faire remarquer. J’avais beau être connu pour mon cynisme et mon humour noir, je savais me tenir en société et surtout avec ceux que j’appréciais. Je m’étais don mis à l’œuvre, me débarrassant de mon veston et retroussant les manches de ma chemise.

Le travail était bien avancé lorsque j’entendis une voix m’interpeler. Curieux, je me retournais pour découvrir le jeune homme qui se tenait derrière moi. Je laissais un sourire ironique apparaître sur mes lèvres.

« Votre chien espérait-il donc tomber sur un os ? Nous en avons beaucoup ici vous savez… j’espère simplement qu’il a les pattes suffisamment solides pour creuser. C’est que nos tombes sont très profondes. »

Je ne pus alors m’empêcher de lancer un petit rire qui me caractérisait tant, perdu entre la démence et l’amusement. J’essuyais alors les gouttes de sueur qui perlaient sur mon front.

« Pour répondre à votre question j’ignore où il se trouve. Comme vous le voyez j’étais moi-même bien occupé lorsqu’il est arrivé. »

Je finis par sortir de mon trou, rejoignant l’inconnu. Je me sentais prêt à lui rendre service.

« Il faudrait vite le rattraper avant que votre chien ne s’avise de troubler la sérénité des lieux. La cérémonie funéraire devrait se terminer très bientôt et il hors de question que votre chien s’amuse à jouer les trouble-fête. Je vous aiderais donc à le retrouver. Je connais ce cimetière comme ma poche. »

Chien en fuite

Je devais bien admettre que j’étais grandement surpris par cette situation. Non pas que cela m’étonnait véritablement. Les imprévus étaient nombreux dans cette profession, sans doute bien plus que ce que vous pourriez imaginer. Les lubies des personnes endeuillées pouvaient être très étranges et parfois même saugrenues. Je devais bien souvent prendre sur moi pour retenir une remarque ironique des plus déplacées.

Mais jamais encore je ne m’étais retrouvé face à la situation de retrouver le chien d’un illustre inconnu. Pourtant, je finis par m’intéresser à son problème. Après lui avoir lancer une de ces petites piques d’humour noir dont j’avais le secret, je ricanais légèrement en imaginant ce chien sortir de sa tombe un squelette en décomposition oublié depuis longtemps par une famille trop occupée pour lui rendre visite. C’était plutôt étrange que je puisse à ce point rire à l’idée de la profanation d’une tombe au vu de mon travail. Mais j’étais animé d’une foi qui voulait croire que l’âme se séparait de son corps pour rejoindre un monde meilleur ou brûler dans les flammes de l’enfer. Que pouvait-elle bien avoir à faire de savoir dans quel état était son enveloppe charnelle qu’elle avait laissée derrière elle ?

« Eh bien dans ce cas, mettons-nous au travail sans attendre. Je doute que le prêtre et le fossoyeur apprécient qu’on mette à mal ce cimetière qui leur tient tant à cœur. »

Altruiste moi ? Pas forcément non… mais je ne supportais pas que mes associés en affaires puissent m’accuser de manquer de professionnalisme dans mon travail. Sortant de la tombe que j’étais en train de creuser, je me joignis au propriétaire de chien et marchait avec lui en direction du fond du cimetière.

« Il y a un très joli coin où les gens peuvent se recueillir à l’extérieur. Ils y laissent très souvent des offrandes pour que leurs prières soient exaucées et on y retrouve parfois de la nourriture. Je suis sûr que votre chien a dû s’enfuir par là. Je vais vous montrer où cela se trouve. »

Tout en marchant à ses côtés, je revins sur les paroles qu’il avait prononcées lorsqu’il parlait de son travail.

« Alors comme ça vous travailler au refuge ? Cela doit être une activité très intéressante, non ? Passer votre journée à vous occuper de ces animaux. Il n’y a rien de plus réconfortant qu’un animal de compagnie et je parle d’expérience. »

Je réfléchis un petit moment avant de rire à nouveau gentiment.

« Cela ne doit pas toujours être évident pour vous. J’imagine que beaucoup de ces animaux n’ont pas reçu la moindre éducation de la part de leurs propriétaires peu conscients de leurs responsabilités. Cela ne doit pas être évident tous les jours pour vous. »