Comme on se retrouve - feat Alcibiade

Une tempête de tous les diables avait frappé les Caraïbes, dévastant les navires de marins peu aguerris. Cela faisait bien plusieurs jours que la météo s’affolait. Comme chaque jour de pluie ne dure jamais plus de quelques heures, le soleil était vite revenu en fin de journée. Le temps était désormais splendide, dégagé et ensoleillé. On aurait même pu s’attendre à ce que les mouettes poussent la chansonnette. Pourtant, Lord Beckett restait d’une humeur massacrante. Une de celles qui vous hérissent les poils comme un chaton esseulé. Depuis son retour dans le monde imaginaire, l’aristocrate britannique ne cessait de repenser à Storybrooke. Les souvenirs de son alter ego le hantaient au point de perturber son sommeil. Dieu seul sait à quel point ce dernier était sacré pour Cutler.En temps normal, Lord Beckett aurait balayé toutes ces angoisses mal fondées d’un revers de la main avec la certitude d’un jour meilleur. Il se serait alors offert le luxe d’un défilé de condamnés à mort, les mains entravées et le teint blafard. Plus maintenant. Cutler Beckett n’était malheureusement plus le même homme. Quelque chose s’était brisé en lui. Peut-être bien qu’il s’agissait de sa confiance légendaire. Il ne parvenait plus à agir ou même penser comme autrefois. Plus maintenant, plus avec les souvenirs de cette double vie à Storybrooke. La véritable personnalité de Cutler Beckett lui manquait atrocement. Le sort l’avait ravagé de l’intérieur. Cette satanée méchante Reine avait laissé entrevoir la possibilité d’un homme meilleur, celui que Cutler avait toujours refusé d’être aux yeux de tous. Ce qui semblait être contre nature pour Lord Beckett n’était rien d’autre qu’une vérité pour Alcibiade Reaver. Nul n’était dupe à bord de l’Endeavour. Le capitaine s’amusait à faire les cent pas dans sa cabine depuis d’interminables heures. Personne n’était venu le consoler, comme si rien ne s’était passé à Storybrooke. Comme si Alcibiade n’avait jamais existé, sauf dans les fantasmes des pires ennemis de l’aristocrate. Jamais Cutler ne l’avouerait à voix haute, mais il aurait adoré un peu de sollicitude de la part de son équipage.Depuis la fenêtre de sa cabine, Cutler se figea comme une statue de cire. Le sang lui montait au cerveau à une vitesse affolante. Ce qu’il aperçut au loin lui fit l’effet d’une douche glacée. Et voilà qu’un vieil ami, sorti d’outre-tombe, refaisait enfin surface après le sort noir. Il aurait reconnu entre mille les voiles du pavillon qui se dressait fièrement près de l’Endeavour. Ce n’était pas n’importe quel vaisseau pirate. Crochet. Il se souvenait également de leur accord. Une poignée de main qui s’avérait extrêmement précieuse pour l’aristocrate. Une seule question lui brûlait les lèvres : était-il toujours d’actualité après tout ce qu’il s’était passé à Storybrooke ? Cutler n’était pas le seul homme à s’être transformé. Ce bon vieux capitaine pirate s’était quelque peu ramolli, selon certaines rumeurs en ville. Tout ce que Cutler retenait à cet instant précis, c’est qu’il lui apparaissait comme le fantôme d’une vie qu’il souhaitait par-dessus tout oublier.Alors que l’équipage s’affairait pour dresser une planche de bois qui relierait les deux navires, Lord Beckett empoigna sa précieuse canne et se hissa jusqu’au pont de l’Endeavour.Les minutes lui paraissaient si longues en attendant d’apercevoir le visage du capitaine Crochet. Un frémissement d’impatience lui grisait les sens. Une part de lui se souvenait de leur complicité à Storybrooke, ainsi que des moments amicaux qu’ils avaient partagés avec bon cœur. Il était impensable pour Cutler de les balayer aussi facilement de son esprit, malgré tous ses efforts pour conserver le peu de flegme britannique qu’il lui restait. Lorsqu’enfin, ses yeux d’acier se posèrent sur ceux du pirate repenti, la première chose qu’il lui balança fut : « C’est Lord Beckett, désormais. » Peu accueillant, froid et condescendant. Voilà le Cutler de l’ancien temps. En même temps, Crochet ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Quelle idée de lui rappeler de mauvais souvenirs ? Alcibiade n’avait jamais existé. Ô grand Dieu jamais. La question qui suivit peu après sa remarque le fit hausser les sourcils avec un étonnement à peine dissimulé. « Que pourrais-je bien vouloir de vos services… allons bon, Capitaine. Surprenez-moi. » Il ajouta un temps de pause avant d’entrouvrir une nouvelle fois ses lèvres. « Je pense qu’il serait plus judicieux de ma part de vous retourner votre question. Vous vous trouvez en ce moment même sur mes terres. Quel bon vent vous amène vers Port Royal, très cher capitaine ? J’en déduis par votre présence que vous venez m’apporter votre part du marché. » dit-il avec un sourire narquois. Néanmoins, quelque chose sonnait faux dans son attitude. Lui-même ne croyait plus à ses paroles mielleuses et son petit air hautain. « J’écoute votre rapport avec attention. » D’un geste de la main, Cutler lui intima de s’approcher un peu plus près. Les deux hommes prirent ainsi la direction de la cabine du capitaine de l’Endeavour. Cutler détestait par-dessus tout les oreilles indiscrètes lorsqu’il était question de ses affaires, qu’elles soient juteuses ou désastreuses.