(( do not stand at my grave and weep )) — .･✧ ennis & jack.

Jack ignore ce qui l’avait conduit ici. Quel endroit lugubre ! Les cimetières ne sont jamais des lieux dans lesquels on se rend volontairement. On ne peut pas flâner ici, ni même rêver — ils sont de cruels rappels que la vie s’arrête un jour pour tout un chacun. Dans l’imaginaire collectif, on ne peut que pleurer ici, que se morfondre. On ne peut pas tirer une quelconque joie des tombes parce qu’elles nous rappellent que trop bien ce qu’on avait perdu. Malgré ces généralités, Jack était pourtant là. Il était même surpris de se trouver là. Il devrait être dans l’une de ses tombes. Ou même pas là du tout si ses cendres avaient été dispersées selon son souhait à Brokeback Mountain. Si Lureen n’avait probablement pas consenti à répondre à cette dernière volonté, Jack savait qu’Ennis l’aurait fait. Ce n’était pas l’homme le plus expressif de la terre, mais il savait qu’il l’avait profondément aimé et surtout que c’était un homme de parole. Ennis parlait peu, mais parlait juste. Avec maladresse certes, mais c’était toujours l’expression crue de ce qu’il avait au plus profond de lui. Jack ne comprenait pas bien les tenants et les aboutissants de sa résurrection. Il fit le choix de ne jamais penser à Storybrooke parce qu’il avait la nette impression que la vie là-bas tenait d’un rêve ou de ce foutu paradis dont tout le monde chantait les louanges. Il n’y avait pas de paradis commun. Tout individu construisait le sien et celui de Jack représentait une vie heureuse avec Ennis. Il aurait aimé mener cette existence à ses côtés pour de vrai. Oui, impossible que Storybrooke soit réel. C’était trop beau pour être vrai. Ce n’était qu’une sorte de fantasme pour lui et qui le rongeait.

Jack déambulait dans les allées du cimetière. Sans y prêter spécifiquement attention, les noms défilaient sous ses yeux. Des gens ordinaires. Certains avec des tombes plus fleuries que d’autres. Beaucoup étaient laissées à l’abandon. Si jamais Jack en avait une, il espérait que la sienne ne soit pas recouverte de mousse et érodée par le temps. C’était sûrement glauque, mais il aimait l’idée qu’Ennis vienne lui rendre visite, la nettoie et pose une fleur de temps à autre. Dans son fantasme, il ne le voyait pas spécifiquement parler ou s’adresser à la tombe comme s’il s’adressait à lui. Jack n’avait pas besoin qu’Ennis parle pour savoir ce qu’il avait dans la tête, ses actions parlaient pour lui. Il espérait aussi que son fils vienne le voir, mais il en doute fort. Dans tous les cas, rien de tout ceci n’aurait pu se réaliser comme Jack avec été incinéré et que ses parents gardaient ses cendres pour les foutre dans le caveau de cette foutue famille Twist. Ennis avait essayé de les récupérer pourtant, mais le père de Jack avait affirmé que, même mort, il fallait que son fils fasse des manières.

Il faisait beau ce jour-là. Le soleil braillait de mille feux sans être parasité par le moindre nuage. Le vent ne faisait pas d’esbroufe non plus puisqu’il n’y en avait pas. Une très fine couche de sueur recouvrait d’ailleurs Jack bien qu’il porte aujourd’hui des vêtements légers — un simple tee-shirt blanc avec un jean. Mais la sensation de chaleur et d’étouffement se ravivait quand il apercevait un homme seul au loin. Reconnaissait-il au premier coup d’œil celui qui l’avait fait vibrer pendant vingt ans en dépit des nombreux conflits qui jalonnèrent leur relation ? Oui. Reconnaissait-il au premier coup d’œil celui qu’il avait épousé dans une autre réalité qu’il prenait comme un rêve ? Bien sûr que oui. Sa tête criait Ennis. Son cœur chantait Ennis. Son cœur entier vibrait à l’idée de revoir Ennis. Le cimetière était immense alors, pour réduire plus vite cette distance qui n’avait que trop duré entre eux, Jack courait vers lui. Jack apportait un peu de vie à ce lieu désolé avec sa propre vivacité, son envie de retrouver son éternel amour qui le transportait encore et toujours, même après autant d’années, avec la même intensité que le jour où il avait posé ses yeux sur lui devant le bungalow d’Aguirre.

À quelques mètres de lui, Jack ralentissait pour s’arrêter dans son dos. Ennis se trouvait devant une tombe anonyme — l’avait-il choisie pour le pleurer ? Pour se recueillir ? Ennis n’avait pas besoin d’étaler son chagrin. Ennis n’avait pas besoin de se rendre en ces lieux pour raviver le souvenir de Jack, parce que Jack était là. Juste derrière lui. Tout près. Si près. Jack ne pensait même pas à l’éventualité qu’il n’eût possiblement pas le droit de perturber son existence en lui faisant savoir qu’il était là. Mais Jack en avait marre. Marre de se cacher. Marre de prendre des précautions. Marre de s’interdire des choses. Alors Jack venait à lui et l’enlaçait par-derrière le plus simplement du monde comme Ennis l’avait fait autrefois à Brokeback quand il dormait debout. Et au lieu de lui fredonner la même chanson qu’Ennis avait fredonnée à son oreille à l’époque, Jack récitait ces simples vers qui lui vinrent en tête : « Do not stand at my grave and cry. I am not there; I did not die. » Jack se contrefichait qu’il le repousse, si cela devait arriver. Jack donnerait tout, un milliard de fois pour vivre et revivre un moment tel que celui-ci. Il pressait un peu plus son bras contre lui pour réaliser qu’Ennis était bien là et qu’il ne s’agissait pas une nouvelle fois d’un rêve.