Engourdi par l’effet des substances consommés, la réalité se déformait pour ne devenir qu’un décor lointain. La texture moelleuse de la chaise de bar s’atténuait. Une impression de flottement gagnait son être. Ses terminaisons nerveuses s’anesthésiaient. Il n’était plus qu’un amas de chair inerte. Dans cette déconnexion avec la réalité, une étrange et agréable sensation de bien-être l’envahissait. Tous ses soucis s’étaient envolés, loin. Sa respiration devenait lente et régulière. Petit à petit, il partait vers cette menaçante torpeur. Ses paupières lourdes se fermèrent. Aucune lutte. Aucun acharnement. Il se laissait porter. L’espace d’un instant, il s’endormit. En réalité, cela ne dura qu’une dizaine de minutes. Mécontent par ce réveil, il grommela et enfouit sa tête sur le côté.
« Jimmy ? » Chuchota une voix féminine. Il la connaissait par cœur ! Après cette appellation, une délicate main se glissa sur son avant-bras. La chaleur de son contact l’emballa. Inconsciemment, son esprit rattacha cette présence à Trucy Gramarye, la femme qu’il aimait depuis tant d’années.
« Jimmy ! Ça va ? » Insista cette doucereuse voix. Ses sourcils se froncèrent. Il la croyait à jamais perdue, mais elle était là, à ses côtés. Difficilement, ses yeux s’ouvrirent. Dès que ses iris la croisèrent, il se paralysa. En effet, Trucy se trouvait bien devant lui… Du moins, c’est ce qu’il croyait.
« Qu’est-ce que… Trucy ? » La jeune femme afficha un sourire radieux quand elle aperçut son visage incrédule.
« Quoi ? On dirait que tu as vu un fantôme… Je t’ai dit que je serai toujours là pour toi. » Délicatement, sa main se posa sur sa joue. La douceur de ce contact ébranla son coeur. Ses mots le ramenaient brutalement à Storybrooke.
« Tu es bien là. Je croyais t'avoir perdu… » Souffla-t-il, la gorgée nouée par la surprise et l'émotion.
« Jimmy… Ça ne va pas ? » Incapable de répondre ou d’émettre le moindre son, il se contenta de hocher la tête.
« Tu es sûr de toi ? Tu sais que tu peux tout me dire. » Délicatement, la main de Trucy se déposa sur la sienne, gantée. Jimmy refusait de sortir en ville sans ses éternels gants en cuir qui cachaient l’anomalie génétique dont il est victime. La magicienne n’avait jamais charrié ou jugé Jimmy quant à ses mains, mais il restait éternellement convaincu qu’un monstre comme lui ne méritait pas d’être en couple avec une telle beauté. Il estimait que ce bonheur n’était pas pour les gens comme lui. Légèrement nauséeux, il se redressa.
« Jimmy… On doit rentrer. Viens… » Trucy l’incita à se lever en tirant sur sa main. Un léger sourire illumina son visage. Elle prenait soin de lui. « Oui. ». L’équilibre défaillant à cause de l’alcool, Jimmy dût s’y reprendre à plusieurs reprises. Une fois sur ses guiboles flageolantes, il s’adossa au mur et retint Trucy. L’alcool l’embrumait, empêchait son esprit de fonctionner correctement ! Ses idées se mélangeaient. Ses propos également. Son cerveau n’était qu’une soupe visqueuse de choses incohérentes.
« Attends ! Attends… Avant de rentrer, je… J’ai. J’ai besoin de savoir… Je dois savoir… Tu sais. Si… Si tu m’aimes ? » Entrainé par la témérité qu’offrait l’alcool, Jimmy tentait vainement de savoir les sentiments qu’elle éprouvait envers lui.
Trucy baissa la tête, inconfortable. À cette réaction, Jimmy se fana. Il se décomposait. Sa lumière s’éteignit et les ténèbres reprirent leur place. La tristesse nouait sa gorge. La déception le plongeait dans une léthargie totale.
« HEY ! » Une voix masculine brisa ce moment solennel.
« Enlève tes sales pattes de ma copine, le monstre ! » Aucun doute la dessus, c’était le trapéziste qui venait récupérer son dû. Jimmy n’eut pas le temps de rétorquer qu’une vive souffrance le prit au niveau de la gorge. Jimmy essayait d’engorger ses alvéoles d’oxygène, mais rien... L’air ne parvenait plus à ses poumons. Le sang ruisselait sur sa poitrine. Il avait beau porter sa main à son cou. L’hémorragie était telle qu’il se viderait de son sang dans les plus brèves minutes. Ses yeux s’ancrèrent sur le visage de Trucy. Carnassier. Satisfait.
En sursaut, il se réveilla. Affolé, il analysait son environnement. Il était toujours au bar. Sans Trucy. En solitaire.
« Fais chier… » Marmonna-t-il avant de se redresser. L’adrénaline déferlait dans ses veines. De l’air. Il avait besoin d’air ! Il faisait trop chaud, ici. Maladroitement, il se redressa et tituba jusqu’à l’extérieur du bar. À l'extérieur, dépourvu de toute attention, il fonça sur une jeune femme. Pris dans son élan les deux individus s’écrasèrent lourdement au sol.
« Merde ! » Pesta-t-il. Un grognement de douleur s’extirpa de ses dents.
« Ça va ? » Dos à l’inconnue, il ignorait tout de son identité.
