La nervosité l’habitait, l’obligeant à faire les cent pas dans l’une des granges de leur exploitation agricole. Diverses questions parasitaient son esprit. À chacune de ses demandes, il s’était lâchement dégonflé. Les quelques fois où il parvenait jusqu’à Jilian, le mutisme d’Ennis lui faisait perdre patience. Ce petit manège durait depuis des mois. Ennis organisait avec une minutie déconcertante sa demande, une façon pour lui de se rassurer dans cette périlleuse démarche. La deuxième étape consistait à observer Jilian et à jauger le moment propice pour accaparer son attention. Avec la discrétion d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, cette étape ne durait jamais très longtemps. Tellement concentré sur les mots et les gestes à appliquer lors de sa demande en mariage, que le reste se relevait d’une futilité déconcertante. Le regard insistant et pesant d’Ennis finissait toujours par alerter son compagnon. Indirectement, l’apparition de Jilian le chamboulait au point d’avorter sa démarche. Contrarié et frustré par l’échec, il se braquait et une moue sévère apparaissait. Totalement pris au dépourvu, Ennis choisissait à chaque fois la fuite. Il grommelait quelques mots en direction de son homme et décampait à coup de grandes enjambées. Pendant quelques heures, on ne l’apercevait plus. Il s’isolait pour déverser sa haine envers sa propre incompétence et lâcheté.
« Cette fois-ci ! Ça sera différent. » Pour se donner du courage, cette phrase tournait en boucle dans son esprit, mais elle n’eut pas grand effet. Le doute ne tarda pas à s’immiscer et à dévorer le peu de bravoure qui l’habitait. Agacé, son pied butta contre un seau en métal disposé là. Le bruit métallique résonna dans toute la grange. Sans doute interpellé par le bruit sourd, la tête de Jilian apparut à l’embrasure de la porte. Les iris d’Ennis l’observèrent. Il n’était pas prêt. Il devait trouver un subterfuge. Dépassé par cette intervention, il déglutit difficilement.
« Je… Dois te montrer un endroit où faire paître nos bêtes. » Siffla-t-il entre ses dents avant de déguerpir. Ennis n’avait pas laissé le temps à son homme de s’expliquer. Il n’avait aucune envie d’expliquer la raison à son emportement. Cette surprise devait rester secrète. Il espérait que son excuse n’avait pas éveillé les suspicions de Jilian. Enfin… Il n’avait pas tant besoin d’un prétexte bidon. Son comportement parlait pour lui.
Nerveux. Indécis. Ennis cherchait à la hâte un lieu adéquat pour leur escapade. Par sa faute, tout son plan se retrouvait chamboulé. L’improvisation… Une chose qu’il avait du mal à maîtriser en temps normal. L’amour lui faisait faire des folies, jusqu’alors, insoupçonnées ! Bingo, il venait de trouver l’endroit idéal : un lac de montagne entouré d’une clairière situé au Nord de la ville. Certes, l’environnement restreint et rocheux ne permettrait pas à leurs bêtes de paître. Toutefois, le but de cette escapade n’était pas là... En fin de journée, peu avant l’heure du coucher de soleil, Ennis glissa dans sa veste en cuir une petite boîte. Rien de bien extravagant. L’amoureux avait acheté une bague simple et la boîte était également d’une simplicité déconcertante. La symbolique de l’acte lui importait plus que les objets. Appuyé contre son pick-up, il attendait Jilian. Toujours aussi fébrile, il canalisait au mieux cette anxiété naissante.
Sur la route, il ne décocha pas un mot. Tendu à l’extrême, ses yeux étaient rivés sur la route. Un moyen pour lui d’échapper au regard interloqué de Jilian, même si par moment, il pouvait aisément le sentir courir le long de sa mâchoire. Aucune distraction ne lui était permise ! Il devait rester sur son objectif ! C’est aujourd’hui qu’il fera sa demande en mariage ! S’engouffrant sur une route sinueuse, l’arrivée était imminente. Ses mains devinrent moites. Sa bouche pâteuse. La tension était à son paroxysme.
« Voilà. » Brève interaction. Ennis s’extirpa de l’habitacle du véhicule. L’air frais lui fit un bien fou. Ses poumons s’emplissaient de cette nouvelle fraîcheur. Malheureusement, cela n’apaisa en rien les maux dont il était victime. Légèrement en retrait, il laissait l’homme de sa vie s’imprégner du lieu. De son côté, il rassembla son courage. Énième respiration profonde gorgée d’un nouvel espoir. Il s’avança déterminé.
« Jilian... Je. » Dès qu’il eut le malheur de parler, sa gorge se noua. Aucun son n’en sortit… Rien. Pour tenter de noyer le poisson, il changea immédiatement de sujet.
« T’en penses quoi ? » Fourré dans sa veste, sa main resserrait fermement cette boîte. Peut-être, dans l’espoir, d’obtenir une once de témérité… Agacé par sa propre couardise, il se mordait l’intérieur de la joue.
