A l'aventure compagnon je suis parti vers l'horizon Ft. Robin W. Kingsley

Depuis notre retour, je n’avais de cesse de voyager par-ci par-là à la recherche de nouvelles histoires, et d’une renommée renouvelée. En Rédanie, tout me paraissait bien fade en comparaison aux dernières années. Rendez-vous compte : plongés dans une illusion, nous vivions une vie toute différente de celle que nous connaissions ! Le retour à la réalité - ou à l’imaginaire ? Comment savoir, désormais… - était bien rude, et je dois admettre que je m’ennuyais. Tout manquait de saveur et, quoique l’on peut en croire, je m’étais accoutumé à la modernité et à la technologie présentes à Storybrook. Je devais cependant accepter mon sort, comme tout à chacun, car revenir en arrière était chose impossible… Tout du moins avions nous, à présent, la possibilité de voyager entre différents royaumes, différentes époques, différents lieux propres aux univers de chacun. La signification du multivers ne m’était pas inconnu, de part la Conjonction des Sphères, mais apprendre ces légendes dans les histoires et les vivre pour de vrai n’était pas la même chose. Je profitais néanmoins de cette opportunité pour me tirer de mon ennui et aller par monts et par vaux à ma guise.

C’est ainsi que je me retrouvais au royaume d’Angleterre, à une époque moyenâgeuse, en tout cas proche de la mienne. L’air y était plaisant, les promenades tout autant. Je ne manquerai pas d’inspiration - encore me fallait-il tomber sur la bonne personne pour que l’épopée soit de taille. J’avais l’envie de grandes aventures interminables, de dragons, peut-être, ou de sorcières indomptables ; trouver un aventurier, ou une aventurière, qui, digne de ce nom, serait l’objet de mes futures chansons.
C’est en devisant ainsi, spéculant sur les possibilités que m’offrait le futur, que je mis les pieds là où il ne fallait pas - comme à mon habitude. Poussé par la curiosité, j’avais suivi un groupe d'individus sur plusieurs lieues pour voir ce qu’ils tramaient - et où ils se rendaient. Loin de penser qu’il s’agissait là de brigands. J’eus, à cette époque, le malheur de m’aventurer trop avant sur leur territoire - et l’on aurait pu me couper la gorge d’un coup de lame aiguisée si la chance, ou le hasard (ou le Destin), n’avait pas été de mon côté.

Alors que je dépassais quelques sapins pour entrer dans un sous-bois plus feuillus, un individu plaqua sur ma bouche une main ferme et gantée pour m’empêcher de crier - bien que, dans un lieu si reculé, je doute que l’on m’eût entendu appeler à l’aide. Sous ma gorge se trouva posée la lame d’une épée. Faisant pâle figure, je restai figé, ne songeant pas à me débattre, craignant qu’un mouvement trop brusque ne me fusse fatal. Je me mis à réfléchir à vive allure ; je ne savais pas me battre et n’avais pour moi que mon bagout. Il suffisait souvent d’un peu trop de verve pour que mes ennemis se lassent de moi et ne me trouvent trop bruyant, trop encombrant. Cela comportait un risque : que l’on se débarrassa de moi définitivement. Mais j’espérais pouvoir convaincre mon assaillant de ma bonne foi :

« C’est une lame de qualité, l’ami… Toutefois j’aurais préféré qu’elle se trouve ailleurs que sur mon gosier. Voyez-vous, je ne suis qu’un humble barde égaré. Je- »
« Silence. Tu nous suivais de trop près pour être arrivé ici par hasard. »
« Moi, vous suivre ? Que nenni ! Mon brave, vous faites fausse route, je vous l’assure ! Quand bien même est-ce le cas, je suis seulement en recherche d’inspiration, de poésie. Loin de moi l’idée de viles intentions. J’ignorais que cette partie de la forêt était gardée… »
« Silence… ! »

Un bruit coupa court à la discussion et, de surprise sans doute, la poigne de mon ravisseur se relâcha assez pour que, habilement, je me défasse de son étreinte et, habitué à ces circonstances, prenne mes jambes à mon cou. Aussitôt, la chasse me fut donnée, et je n’eus d’autre recours que de m’enfuir au hasard des sentiers, tout égaré que j’étais. En glissant du haut d’une petite butte recouverte de terre et d’épines, je rentrai littéralement dans un individu qui se trouvait là. Sans me demander s’il était ou non un autre brigand, je saisis ma chance - au point où j’en étais, je n’avais rien à perdre.  

« A moi, messire, à moi ! » m’exclamai-je alors que les deux hommes qui m’avaient pris en chasse arrivaient à grandes enjambées.

Dissimulé derrière la stature de celui que je prenais pour mon sauveur, je vis les deux brigands qui m’avaient pris en chasse arriver à grandes enjambées. Ils arrêtèrent leur course effrénée et hélèrent mon nouveau comparse ; visiblement, les deux parties se connaissaient. Fort heureusement pour moi, mon instinct ne m’avait pas trompé et l’homme qui me servait de cachettes se montra inflexible. Après un sifflement particulier, mes deux adversaires tirèrent leur révérence et déguerpirent - de mauvaise grâce. Une fois qu’ils furent au loin, leur silhouette hors de portée, j’applaudis la performance de celui que je pouvais désormais appeler sans peine : mon ami. A mon tour de siffler - mais d’admiration - avant de le remercier chaleureusement.

« Messire, quelle autorité ! Mes respects. » je fis une brève révérence avant de saisir sa gourde avec reconnaissance et de boire une gorgée d’eau claire. Après une telle course, rien ne valait un rafraîchissement - bien qu’à mon sens, un verre de vin valait toute l’eau de la terre. « Je vous remercie, j’admets m’être mis dans de beaux draps avec ces deux faquins-là. Heureusement que des individus comme vous existent en ce bas monde… ! Vous avez raison, je ferai attention à l’avenir. Hélas ! Je semble posséder un certain talent pour me mettre dans l’embarras… » Je lui rendis sa gourde et hochai la tête suite aux présentations. « Vous me voyez enchanté de faire votre connaissance, sir Robin. Je me prénomme Jaskier, je suis un barde en manque d’inspiration et me promenais au détour de ces bois. J’ai dû franchir la ligne d’un territoire hostile et… La suite, vous la connaissez. Il y a eu, pour ainsi dire, plus de peur que de mal. »

Ce genre d’événements étaient, pour moi, chose commune. Combien de fois avais-je dû fuir à travers champs, forêts, monts et vaux pour échapper aux foudres de créatures hideuses, terrifiantes, ou bien de pères et de frères scandalisés de mes amourettes avec leurs filles ou leurs sœurs.
Mes yeux tombèrent sur son arc et je posai alors une main sur ma bouche, confus. En effet, avec tout ce raffut, la bête chassée devait être loin. Au moins était-il plus aimable que Geralt malgré les contrariétés rencontrées sur sa route. Et puis, les plus belles rencontres sont toujours dues au fruit du hasard. Un sourire fendit mes lèvres à la perspective d’un repas chaud dans une auberge. Là-bas, peut-être, entendrais-je des rumeurs intéressantes, moi qui tenais tant à me désennuyer.

« Je vous emboîte le pas sur le champ. Je vous fais mes excuses pour votre chasse ; de quoi s’agissait-il ? » je le suivis à travers les arbres où nous gagnâmes rapidement un chemin de terre battue. « Vous semblez connaître ce terrain comme votre poche. Vous avez tout à l’heure évoqué le nom des Joyeux Compagnons ; cela me dit vaguement quelque chose. Est-ce là le nom d’un groupe de chasseurs aguerris dont vous faites partie ou bien, peut-être, de gardes forestiers ? Vous avez fait forte impression sur ces coquins de tout à l’heure. J’imagine que vous devez être une sorte de légende locale…. Je me trompe ? » me yeux s’illuminèrent. Si tel était le cas, peut-être aurais-je la chance de trouver une inspiration nouvelle pour de futures chansons. « C’est ça, n’est-ce pas ? Robin … Oui, cela me parle. Quelle chance ! Vous avez sûrement vécu beaucoup d’aventures passionnantes, n’est-ce pas ? Ah ! Pardon, j’ai tendance à jacasser, mais, voyez-vous, un barde n’a que sa langue et sa lyre. Nous en parlerons sans doute mieux autour d’un repas chaud. »

Nous arrivâmes tous deux devant une taverne. A cette heure-ci, rares étaient les clients. Il y en avait tout de même deux ou trois qui grignotaient, buvaient un coup et jouaient aux cartes. Cette ambiance-là m’était familière et me réjouit le cœur. Je pris place avec mon nouvel ami. D’ordinaire plutôt avare, j’avais appris qu’il fallait se montrer généreux envers ceux qui nous sauvent la vie.

« Laissez-moi vous payer le repas, en dédommagement. J’espère toutefois que ma monnaie sera acceptée… C’est que je ne suis pas vraiment du coin. »