Le diable aux trousses | Cole

Le diable aux trousses

Cole & Morticia

La journée est calme et la quinquagénaire s'ennuie même un petit peu. Installée derrière la caisse depuis à peu près une heure, elle fait les comptes de sa petite échoppe en relevant la tête de temps en temps pour s'assurer que tout va bien. Elle l'aime, sa boutique, et ça fait dix-huit ans qu'elle la chérit. Elle la chérit comme elle a rarement chérit ses semblables, hormis ceux qui comptent vraiment, évidemment. Aucun de ses anciens petits-copains donc. Ça a d'ailleurs déjà posé problème ces dernières années, qu'elle enchaîne les heures pour s'occuper des tâches administratives en plus de sa présence à la boutique tous les jours d'ouverture – c'est-à-dire tous les jours de la semaine, excepté le dimanche. Mais quoi, elle ne va quand même pas mettre son commerce en péril pour un mec ! Il manquerait plus que ça ! Non, les hommes n'en valent pas la peine, pas ceux qu'elle a rencontré en tout cas.

Avec un soupir las, elle passe une main blanche parfaitement manucurée dans ses cheveux noirs parfaitement coiffés. Si elle continue à se concentrer autant sur cet écran, elle va finir par avoir besoin de lunettes. Une éventualité qui n'est pas forcément pour lui déplaire. Prendre de l'âge n'a jamais été un problème, et elle s'imagine déjà porter des lunettes œil-de-chat un peu rétro. Le vrai problème, c'est la migraine qu'elle risque aussi de devoir encaisser si elle continue.

Elle s'appuie contre le dossier de sa chaise. Elle n'est pas seule. Cole, son employé, doit être quelque part à gérer le peu de clients qui passent. Enfin, gérer. Gérer façon Cole, quoi. Pas qu'elle s'en inquiète. Elle a des plaintes, parfois, elle écoute, hoche la tête et laisse Cole tranquille. Pourquoi ? Elle doit avouer qu'elle l'aime bien, ce gamin. Pourquoi – encore une fois ? Bof, ça, elle ne saurait pas trop le dire. Il l'amuse. Et c'est rare, les gens qui l'amusent quand que ce soit seulement du mépris savamment déguisé.

Des voix s'élèvent dans la boutique, de quoi la sortir de ses pensées. Alors qu'elle se lève pour aller voir ce qui se passe, elle voit un client sortir précipitamment. Elle fait quelques pas de plus dans l'allée qu'il vient de quitter et lève les yeux vers son employé, présent. « Puis-je savoir ce qui s'est passé ? » Demande-t-elle, les sourcils à peine froncés. « Pourquoi cet homme est-il sorti comme si le diable en avait après sa pauvre âme ? »

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Cole & Morticia

Les bras croisés sur sa poitrine opulente, Morticia écoute l'explication de son employé. Le jeune homme est, comme toujours, très détendu, détaché. Ça fait partie des choses qu'elle aime bien chez lui, pour être tout à fait honnête. Mais bon, ça ne passe pas toujours avec les clients. Peur ? Un prêtre exorciste ? Eh bien, ça a l'air de ne pas s'être très bien passé avec ce client-là, non plus.
Elle s'apprête à soupirer quand le client revient, Cole s'en occupe à sa façon bien particulière qui fait hausser les sourcils à Morticia, puis elle le regarde partir vers le comptoir. « Parfaitement inexplicable, » souffle-t-elle en lui emboîtant le pas. Quelque part, elle se retrouve en lui et en sa façon de ne pas se plier à la volonté des autres. Mais pour le commerce, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux.

Elle retourne s'asseoir sur sa chaise, son regard se repose une seconde sur ses comptes qu'elle n'a aucune motivation à poursuivre. Au lieu de ça, elle décide d'assouvir sa curiosité. « Il s'est passé quoi avec le client ? » Redemande-t-elle. « Tu lui as dit quoi, précisément ? Et lui, à part menacer de faire appel à un exorcisme comme si cet endroit était l'antichambre de l'enfer, il a dit quelque chose ? » Elle se doute qu'il n'a pas envie d'en parler. Il est même probablement déjà passé à autre chose, mais pas elle. Si ce crétin revient, en effet, avec la police, elle préfère avoir des arguments pour protéger Cole, même s'il y a de grandes chances que ce soit des paroles en l'air.

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Cole & Morticia

Si elle commence par être dubitative en entendant que le client en question est juste un connard de bas étage, son humeur vire carrément à la colère quand Cole finit de raconter pourquoi il lui en veut personnellement. Ses yeux tempétueux se reposent sur la porte de sa petite boutique. Quelque part, elle espère revoir arriver cet affreux bonhomme pour pouvoir le secouer elle-même. Il a osé s'en prendre à sa sœur ? Sa jumelle ? Son sang ? La pin-up serre ses lèvres pulpeuses, au point qu'on ne discerne plus qu'une mince ligne écarlate. « Elle ne m'a rien dit... » Est-ce que ça l'étonne de sa sœur ? Non, pas vraiment, parce qu'Ophelia la connaît parfaitement. Est-ce que ça l'étonne de sa nièce ? Peut-être un peu plus, mais pas tant que ça. Enfin, si elle en a parlé à Cole, elle aurait pu en parler à Morticia, non ?

Un long soupir quitte sa bouche, par lequel elle tente de se calmer. Être en colère maintenant ne lui apportera rien, sauf des rides prématurées. D'un geste leste, elle attrape le paquet de cigarettes du jeune homme et en sort une, puis elle l'allume. Elle aussi, elle en a bien besoin. Alors qu'elle inspire lentement la fumée du tabac, elle regarde Cole. « Tu as bien fait, » souffle-t-elle. « Si j'avais su, je l'aurais moi-même fait sortir d'ici à coups de fouet. » Si elle se souvient bien, sa lanière de cuir doit être quelque part derrière ce comptoir. « Merci de me l'avoir dit. » Même si, clairement, elle a dû lui forcer la main. Mais elle commence à avoir l'habitude. Elle se cale à nouveau contre le dossier de sa chaise de bureau et tire une nouvelle fois sur la cigarette en constatant qu'il va falloir aérer un peu quand ils auront fini, au risque que l'odeur de tabac froid reste pendant des jours.

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Cole & Morticia

La pin-up hausse l'un de ses sourcils parfaitement dessinés, étonnée par les paroles de Cole. Et par ses questions. Quand elle a rencontré ce môme, elle n'aurait pas cru qu'elle puisse autant s'attacher à lui, ni même que ce soit un tant soit peu réciproque. Pourtant, ça en a l'air.
Tirant une nouvelle fois sur la cigarette, elle médite quelques instants sur sa réponse. « Comment c'est, hein ? » Débute-t-elle, pensive. « Peut-être ne jamais avoir à se sentir seul. Savoir que, quelque part, quelqu'un tient à toi. Quoi que tu sois, quoi que tu fasses, même si vous êtes très différents. » Qui de plus différent que Morticia et Ophelia ? Malgré cela, l'amour que les deux sœurs se portent est indestructible. Pour la belle brune, il l'est.

« Oui, j'ai de la chance » admet-elle volontiers. « Mais les liens de sang ne sont pas forcément nécessaires pour être une famille, tu sais ? » Elle inspire une autre bouffée de fumée et la soupire doucement. « C'est l'amour qui fait une famille, pas le sang. » Et heureusement, parce qu'elle connait des familles vraiment insupportables avec lesquelles elle est contente de ne pas être coincée !